LE CHAMP DU DEPART70%, 75%, 80% : les conversations de parking tentent depuis toujours de chiffrer limportance relative du départ dans la performance finale. Pour ma part et me basant sur les plus grands auteurs douvrages techniques consacrés à la voile que sont Paul Elvström, Michel Pichard, labbé Cottard, Manfred Curry et Freddy Mercury, je situerai cette part autour de 74,92% environ. Autrement dit pour les non-scientifiques et autres mal-comprenants: cest vachement " important " (" trop veugra" dirait la jeunesse périphérique, qui Dieu merci na pas loisir de venir polluer nos joutes nautiques). Je vais donc tenter avec les connaissances empiriques de régatier amateur qui sont les miennes, la grande subjectivité et le sens de lorganisation qui me caractérisent, de vous aider à mieux appréhender cette phase cruciale de notre beau sport, si esthétique et si viril cependant.
Prendre des repères fiables
La période qui précède le départ devrait être normalement le théâtre dune intense activité chez le fireballiste qui met à leau toujours trop tard (et qui déjà est super mal barré par rapport à Péponnet Pillot qui mettaient à leau 1h30 avant le départ). Dès quon est sur leau (donc déjà en allant sur le parcours), pendant quun des deux " clampins " soccupe des réglages (plutôt le barreur), lautre doit prendre un maximum de repères en divers points du plan deau (vent, courant, état de la mer, comportement dautres bateaux sur le plan deau, forme de la côte ou plus généralement toute chose susceptible dentraîner des effets de site).
La stratégie nétant pas lobjet de cet article, nous supposerons loption du premier près déterminée. En réalité, la détermination de loption nest pas indépendante du départ et son évaluation doit se poursuivre pendant toute la phase de départ et bien sûr après, conjointement à ce qui va suivre. Soyez persuadés que nombre déquipages de bon niveau ne savent pas systématiquement ce quils vont faire (en dehors bien sûr du sempiternel " tous les niq ! ") au moment dun départ.
Il faut impérativement prendre quatre mesures avant un départ : le top départ, lazimut de la ligne (1 mesure), lazimut du vent (multiples mesures), lazimut et la force du courant (1 mesure). Il va sans dire que la dernière est facultative en fonction du plan deau, des horaires de marées et du taux dalcoolémie du capitaine.
Le top chrono : Il doit être pris par les deux équipiers, sachant que sauf problème technique cest léquipier qui doit décompter le temps pour le barreur. Personnellement je my emploie de la manière suivante : deux fois par minute au moment les manuvres le permettent dans les cinq dernières minutes (donc à intervalles irréguliers), toutes les cinq secondes dans la minute et toutes les secondes à partir de 10 ou 15 sec. Ce dernier décompte doit seffectuer sans regarder le chrono, afin que la vision soit disponible pour lancer au mieux le bateau.
Lidéal (mais cest souvent difficile) est de prendre le top au signal des 6 minutes et dévaluer lécart au 5 min. Dans le cas dun premier départ de la journée avoir une montre réglée à lhorloge parlante le plus exactement possible peut savérer très utile. En effet nombre de Présidents de Comités mettent un point dhonneur et de rigueur à déclencher un signal (retard ou 6 min) à lheure très exacte (à la seconde près) précisée par les instructions de courses. Cest en tout cas ce qui leur est conseillé pendant leur formation. Dans le cas dun départ ultérieur, il faut préciser que les comités de courses les plus rigoureux décomptent exactement une minute entre laffalage du pavillon L (manche à suivre), du pavillon retard (manche retardée) ou du 1er substitut (rappel général) et le signal suivant (-6 min ou 5 dans le dernier cas). Cette indication permet la encore danticiper le lancement de la procédure et donc daméliorer la précision du décompte.
Lazimut ligne : Le comité de course peut changer la ligne jusquà 5 min avant le départ, il faut donc soit prendre la mesure à ce moment soit si on la prise antérieurement surveiller le comportement du comité. Le bateau viseur peut décaler la bouée, le bateau comité peut laisser filer son mouillage ou se hâler dessus de façon très discrète. Il existe deux méthodes que lon peut mixer au début en attendant de trouver sa procédure (jy reviendrai).
1. Se placer exactement sur la ligne tribord amure entre le bateau (attention de bien choisir le mât qui va servir à viser la ligne (cf. instructions de course) et la bouée et la longer, dans ce cas le barreur place le bateau sur la ligne pendant que léquipier relève lazimut.
Avantages : on a plus de place pour effectuer la mesure.
Inconvénient : il existe des risques derreur si le barreur nest pas habitué (il faut absolument parvenir à moins de 5° derreur)
2. Se placer exactement sur la ligne tribord amure au delà du bateau et viser la bouée et le mât servant de repère pour la ligne. Procéder comme précédemment. On peut là encore effectuer cette mesure en bâbord (en se plaçant au delà de la bouée).
Avantage : mesure sans erreurs
Inconvénient : pendant les procédures de nombreux bateaux sont aux abords du bateau comité, il peut être difficile dy circuler à son aise et encore plus de voir la bouée.
On peut, si lon en a lusage (Ludo, par exemple, sen fout comme de sa première écoute de GV toute machouillée, alors que Gault ne jure que par ça) et si cela est possible, profiter de cette mesure pour viser un amer à terre, soit en bâbord, soit en tribord, suivant le type de départ que lon souhaite prendre. Je pense que lamer nest utile que pour un départ milieu de ligne afin déviter le " ventre " (par exemple en cas de pavillon noir) ou alors quand on décide de partir seul ou presque à la bouée (au bateau on est pratiquement certain de ne jamais voir lamer quon voit danser le long des golfes clairs)
Une fois lazimut ligne enregistré (rassurez vous, cest plus rapide à prendre quà expliquer), il faut tout de suite le convertir en azimut vent pour lequel la ligne est neutre. Si on a pris lazimut ligne en tribord on ajoute 90°, si cétait en bâbord on soustrait 90°. Cest le nombre ainsi obtenu quil faut mémoriser. Je suis personnellement favorable à lutilisation dun " compucourse " qui fait les calculs à votre place, et surtout mémoriser les différents nombres importants. Parce que si soustraire ou ajouter 90 et mémoriser quelques nombres peut paraître extrêmement simple vu de terre ; sur leau, il peut en aller tout autrement. De nombreux facteurs peuvent venir bloquer la belle mécanique dont dispose plus que tout autre, le fireballiste moyen. Je citerai dans le désordre : euphorie dune victoire dans la manche précédente, déception dune place catastrophique, sourire narquois de votre pire ennemi, sourire charmant dune jolie équipière, abus de pétrole-âne la veille, discussion technique avec Borsenberger, discussion tactique avec Bretagne etc. Ensuite chaque prise de vent sera à comparer avec le " vent ligne neutre " ainsi obtenu. De nombreux ouvrages techniques recommandent pour évaluer une ligne de lessayer (cest à dire de faire un départ à une (ou chacune) des extrémités) et feignent de croire que cela suffit. Je pense pour ma part quil faut faire les deux. Essayer la ligne permet de vérifier sa ligne dapproche et de visualiser leffet du courant ; par contre, il faudrait pouvoir lessayer 10 fois pendant la procédure pour avoir la même précision quavec la méthode proposée ici.
Azimut vent : il faut le prendre souvent, parce que, je sais pas si vous avez remarqué, mais le vent ressemble un peu à Alexis Cordelle, il ne tient pas en place. Si vous manquez dexpérience astreignez vous à le prendre une fois par minute pendant la procédure. Le barreur place le bateau dans le lit du vent et donne le top quand il considère être parfaitement dans laxe du vent (vérifier avec la girouette ou avec le foc), léquipier enregistre le cap compas. Avec un peu dentraînement, ça peut se faire très vite par exemple au cours dun virement légèrement ralenti. Attention de faire la mesure dans un vent clair (sans obstacle au vent) et de le faire en divers points de la ligne (le vent nest pas forcément le même partout au même moment). Avec lexpérience on " sent " sil bouge et donc si il est nécessaire ou pas de le reprendre. Il existe aussi des situations tactiques évidentes où il ny a rien à faire.
Cet azimut vent variable ainsi obtenu doit être comparé à la constante " vent ligne neutre " (vous aurez intérêt à lui trouver un petit nom plus court et plus joli). Si lazimut vent mesuré est supérieur au " vent ligne neutre " la ligne est favorable tribord (au bateau), sinon elle est bâbord (à la bouée). Il faut aussi mesurer lécart par rapport à la neutralité (cf. exemple).
Azimut ligne en tribord = 265°
Azimut vent ligne neutre =265 + 90 = 355 °
Azimut vent relevé = 5°
5 < 355 donc la ligne est 350° favorable bâbord, le départ sannonce chaud(FAUX)
en réalité 5° dans le cas présent est à lire comme 365° (5° à droite du 0° (ou 360°)) donc :
365 > 355 donc la ligne est 10° tribord.
Azimut et intensité courant : cest plus difficile car il nexiste pas de girouette à courant. Quand le courant est fort (comme cétait souvent le cas à La Baule et à Fécamp cette année), cest assez facile den relever la direction ; comme pour le vent, lazimut courant est la direction doù il vient (et non celle où il va). Lestimation la plus précise consiste à regarder si la bouée laisse un sillage dû au courant (lazimut courant est dans ce cas en sens opposé au sillage). Si létat de la mer où la faiblesse du courant ne laisse pas de sillage visible à la bouée, la meilleure méthode consiste à laisser une éponge dans leau aux abords de la bouée ; imbibée elle noffrira pas de fardage au vent et donc ses déplacements seront soumis à la seule action du courant ou presque.
Puisquon en est au chapitre courant, une petite chose encore : un fireball qui prend le vent est aussi en permanence confronté au courant. Ainsi le vent que vous prenez est la composante vent réel + vent courant, ce qui est bien pratique parce que cest ce vent auquel vous serez soumis pendant la régate. Par contre le Président du comité de course juché sur sa monture au mouillage voit sa girouette soumise à la seule action du vent réel. Dans ce cas de figure, deux alternatives soffre à lui :
- il sen fout et dans ce cas, il risque fort de mal mouiller sa ligne. Il me revient comme principaux exemples le dernier national au Val André où tous les départs furent systématiquement entre 10° et 15° bâbord et quelques éditions de la régate D5 de Trouville dautrefois.
- Le Comité se préoccupe du bien être des concurrents et de leurs onéreuses montures et il mesure le courant afin dintégrer la composante vent-courant pour mouiller sa ligne.
ORGANISER, RITUALISER
Jaimerais commencer ici par vous parler ce cette " deuxième moitié de lhumanité " si discrète et pourtant tellement nécessaire à nos performances, si têtue et si fragile cependant, de ces quelques kilogrammes de finesse dans notre monde de brutes : les barreurs (quand cest des barreuses, jvous dit même pas ! (Régine, de nouveau mes excuses les plus plates)). Eh bien sur les départs, ils sont tout tendus les chéris. Il revient donc à nous les équipiers (quand cest des équipières, jvous dit même pas !), dont la force physique et mentale na dégale que la modestie, dassurer à bord une ambiance sereine propice à la performance : " Mais p . ! Tes c . ou quoi ! ! ! On est déjà dix fois trop haut ! Arrête dabattre comme ça tu vas nous f .. dans la bouée. Ouahrrrgllll ! (cri de rage consécutif à un départ manqué).
Le processus que je viens de décrire ci-dessus (pas juste au dessus, un peu avant) peut paraître long et un peu prise de tête. Je pense quil convient pour la plupart des équipages de sastreindre à trouver une procédure qui lui convienne et à la répéter (comme on fait ses gammes) sur tous les départs. En effet, au delà de la prise dinformation décrite ci dessus, un processus bien huilé, allant jusquà être un peu " ritualisé " peut apporter cet ingrédient indispensable aux bons départs et aux interviews de Nelson Monfort : la sérénité.
PARTIR ? (OU PARTIR ? COMMENT PARTIR ? POURQUOI PARTIR ?) ET DIEU DANS TOUT CA)
Quest-ce quun bon départ ? On pourrait avoir tendance à penser quun bon départ est un départ bien lancé à lextrémité favorable de la ligne. Ce nest pas toujours le cas. Un bon départ est surtout un départ qui va vous permettre daller où vous voulez sur le plan deau, si possible avant vos adversaires. Il faudra donc toujours au moment de choisir où partir comparer le point le plus au vent de la ligne (donné par la comparaison vent mesuré - vent ligne neutre) et le coté du plan deau où vous souhaitez naviguer.
Exemple : la Baule le premier jour cette année, avec un très bon comité de course, où les lignes étaient souvent mouillées 5° bâbord (en tenant compte du vent courant). Il aurait fallu logiquement partir à la bouée, cependant la droite du plan deau était tellement favorisée par le courant que le plus malin (Alain Cadre) cherchait à partir au bateau et à renvoyer tout de suite.
Ainsi un bon départ, résultat dun compromis entre géométrie de la ligne et choix du bord, ne sera pas forcément pris à une extrémité, le choix peut être par exemple : ligne 5° au bateau, bord favorable à gauche, je choisis de partir sous le vent du groupe au vent.
Si nous parvenons à partir lancés en premier rideau deux choses peuvent venir nous gêner : le bateau au vent et le bateau sous le vent. Le bateau sous le vent peut en nous sortant nous obliger à virer alors que nous ne le souhaitons pas (nous voulons aller à gauche), le bateau au vent peut nous couvrir (alors là cest mal barré pour gagner la manche) ou plus souvent nous empêcher de virer. Ces deux constatations doivent amener un comportement unique chez nous. Objectif : sortir le bateau au vent sans se faire sortir par celui sous le vent. Pour cela, il faut, dans la phase qui précède immédiatement le départ, coller le plus possible le bateau au vent (la règle nous autorise à lofer jusquà bout au vent en laissant à la victime le temps de réagir à la manuvre) et se ménager un espace le plus grand possible sous le vent.
Bon départ et soyez prudents.
E. PERDON